Lorsque je lis des articles, regarde des documentaires ou anime des discussions sur les solutions numériques visant à réduire les Pertes et le Gaspillage Alimentaire (PGA), il y a quelques objectifs, définitions et chiffres clés que je garde à l'esprit. Ces derniers donnent à mes réflexions un cadre pour m'aider à donner un sens à ce que j'apprends et à comprendre pourquoi la durabilité est si importante. Cette structuration de pensée est reprise du livre de Bill Gates « Comment éviter un désartre climatique », que je tiens à remercier pour avoir publié un livre aussi informatif et inspirant.
D’après le Financial Times (mai 2021), les principaux gouvernements tels que l'UE, les États-Unis et le Royaume-Uni, ainsi que les leaders de l'industrie comme American Airlines, BP, and Ford Motor Company, ont défini et adoptés des objectifs visant d’une part à réduire les émissions de dioxyde de carbone jusqu’à près de zéro, et d’autre part, à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d'ici 2050.
Ces engagements sont essentiels pour éviter les pires effets du changement climatique, tels que décrits par le WWF : sécheresses, tempêtes, vagues de chaleur, élévation du niveau des mers, fonte des glaciers et réchauffement des océans plus fréquents et plus intenses ; tout cela affectera gravement notre capacité à assurer la sécurité alimentaire mondiale. Par conséquent, lorsque je lis des articles concernant les efforts numériques privés et publics visant à atténuer le changement climatique, je me demande : Comment ces solutions durables nous aideront-t-elles à atteindre zéro émission nette de CO2 d'ici 2050 ?
Paola Haiat a déjà défini ces notions dans un article de notre blog. Toutefois, un bref résumé est toujours le bienvenu :
Pertes alimentaires : tout aliment produit qui n'atteint pas le consommateur final et qui concerne les étapes de la production, de la post-récolte, de la transformation et de la distribution.
Gaspillage alimentaire : tout aliment qui atteint le consommateur final et qui est jeté après s'être avarié ou avoir dépassé sa date de péremption.
J'ai gravé ces chiffres dans mon esprit pour m’aider à relier les pertes, et gaspillages alimentaires (PGA), à la crise climatique.
D’après les recherches de « Our World In Data », les Hommes ont émis 50 milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES) en 2016. Les GES sont des gaz qui piègent la chaleur dans l'atmosphère et sont le principal facteur du changement climatique observé depuis le milieu du XXe siècle.
La production alimentaire est responsable de 13 milliards de tonnes de GES, soit 26% des GES mondiaux ; cela comprend les activités associées à l'utilisation des terres, à la production végétale, à l'élevage et à la pêche, et à la chaîne d'approvisionnement.
Les PGA sont responsables de 4 à 5 milliards de tonnes de GES, soit 8 à 10% des GES mondiaux, ou encore 30 à 38% des GES provenant de la production alimentaire.
Les pertes alimentaires dans la chaîne d'approvisionnement sont responsables de 2 à 3 milliards de tonnes de GES, soit 4 à 6% des GES mondiaux, ou encore 15 à 23% des GES provenant de la production alimentaire.
Suite à cette analyse, nous comprenons mieux l’impact non négligeable de l'industrie alimentaire sur notre climat, et plus particulièrement les conséquences des pertes alimentaires en termes d’émissions de GES. Selon une étude de « Our World In Data », les émissions mondiales de GES du secteur agricole ont augmenté de 16% au cours des 26 dernières années, passant de 5,03 milliards de tonnes en 1990 à 5,8 milliards de tonnes en 2016. Ces données sont troublantes étant donné que l'objectif est d'atteindre zéro émission nette de CO2 d'ici 2050. Avec les objectifs cités précédemment, nous espérons évidemment voir ces chiffres diminuer plutôt qu'augmenter. Une solution possible est le développement et le déploiement d'innovations numériques et durables.
Le manque d'expérience avec les technologies numériques de l'industrie alimentaire représente un défi important. Dans un article, des chercheurs italiens et suédois ont estimé que la digitalisation dans le secteur alimentaire a commencé à être étudiée en profondeur au cours des 5 dernières années. C'est alarmant si l'on considère que les ordinateurs existent depuis les années 1950.
Une autre étude d'OECD.org a classé les secteurs de l'agriculture et de l'alimentation comme « faibles » en termes d'intensité numérique. Cela qui signifie que par rapport à d'autres secteurs comme le transport, l’industrie pharmaceutique ou celle des machines, l’industrie agricole et l’industrie alimentaire se situent dans le 25e centile inférieur de toutes les industries considérées. Par conséquent, il y a là une excellente opportunité de rattraper le statu quo actuel de la digitalisation et de faire bénéficier à ces deux secteurs des avantages des solutions durables que d'autres secteurs ont pu expérimenter. Parmi ces avantages notables, nous pouvons citer l'augmentation de la productivité et des marges bénéficiaires.
Les chercheurs italiens et suédois ont également identifié des technologies numériques qui aident les entreprises agroalimentaires à répondre aux tendances du secteur telles que les besoins croissants de durabilité environnementale et un marché de plus en plus compétitif. Les technologies liées à l'analyse des mégadonnées et à l'Internet industriel des objets ont permis d'automatiser la collecte de données et de réduire la charge administrative. En parallèle, les systèmes de production cyber-physique (CPCP), la fabrication via le cloud et, encore une fois, l'analyse des mégadonnées améliorent les performances de production et partagent les meilleures pratiques. En réduisant les efforts de collecte de données et d'enregistrement des transactions, tout en augmentant le partage des données et en améliorant les résultats, les entreprises de la chaîne d'approvisionnement alimentaire peuvent réduire leur impact environnemental et développer un avantage numérique durable pour distancer leurs concurrents.
Par exemple, une étude menée pendant la pandémie de Covid-19 par l'Université de Cassino et du Lazio Meridionale en Italie a révélé que si une entreprise migrait certains de ses processus en ligne, la probabilité qu'elle diminue les PGA augmentait de 24%. Ce résultat prouve qu'en intégrant la digitalisation dans leurs processus, les entreprises du secteur alimentaire peuvent potentiellement réduire les émissions de GES qui proviennent des aliments avariés et des besoins de la chaîne d'approvisionnement agricole, pour la récolte, l'emballage, la distribution et la vente. De plus, la digitalisation des processus peut également permettre d’éviter les pertes financières associées au coût des marchandises vendues qui proviennent de la radiation des stocks. Ces économies peuvent ainsi être réinvesties dans l’entreprise.
L'impact des industries alimentaires et agricoles sur l'environnement peut certainement contribuer à l'anxiété climatique. Cependant, ce qui est passionnant, c'est que de grandes étapes numériques ont déjà été franchies par des start-ups innovantes pour introduire des solutions de réduction des déchets afin de rendre la chaîne d'approvisionnement plus durable. Too Good Too Go élimine les surplus alimentaires, Apeel Sciences augmente la durée de conservation des produits frais et chez Consentio nous rationalisons les processus d'achat et de vente du secteur. Espérons, alors que le secteur alimentaire continue d'intégrer des solutions numériques et durables dans ses processus, afin d’éliminer ensemble les 8 à 10% de GES annuels dont sont responsable les PGA tout au long de la chaîne d'approvisionnement.